"Les Pastorales Baroques", à la rencontre des musiciens du Festival 2024

Le Concert Champêtre - Giorgione / Titien

Dans ces paysages montagnards et au milieu des troupeaux que nous croisons en altitude, le thème pastoral a fini par s’imposer pour cette 15ème édition du Festival Valloire baroque.

Nous avons célébré, au cours des 14 festivals précédents, des pays, des compositeurs, des époques mais pas encore notre environnement le plus proche. C’est, cette année, chose faite !

Au son des fifres et des tambourins, nous danserons et chanterons la nature, ses dieux, ses poètes, sa faune, sa flore… qui ont inspiré tant d’œuvres d’art à l’homme. Nous aurons l’occasion de rendre hommage aux artistes qui l’ont célébrée et au cours des concerts du Festival de découvrir quels compositeurs l’ont évoquée voire invoquée !

Episode 2

Un spectacle qui… décoiffe !!! Il y en a pour les yeux et les oreilles !

Des sauts, nous en verrons, de l’acrobatie, nous en ferons ! Entre les époques et les musiques avec Toccata e fuga.

Bien sûr, Purcell, Bach, Corelli, Telemann et Rameau nous connaissons ! Présents dans nos Festivals précédents, nous vous les avons présentés et fait apprécier.

Mais John Eccles ? C’est le moment des présentations ! 1668-1735 !

Nous sommes à la charnière des deux siècles comme pour nombre des compositeurs cités plus haut. John Eccles est anglais, né d’un père devenu « quaker fanatique », donc fortement hostile à la musique, mais qui fait quand même donner une formation musicale à ses deux fils dont John tirera le plus grand profit : il deviendra un musicien célèbre, au service de la Cour et collaborant aussi, avec les grands auteurs de son temps, à de la musique de scène.

En 1700, il devient « maître de musique du roi ». Il concourt pour la musique de scène d’un « masque », de William Congreve, The Judgement of Paris, qui nous ramène à nos chers moutons… avec Pâris, le berger, sa flûte, sa houlette, ses déesses et… sa pomme ! Un « masque » est un spectacle baroque, représenté une fois, mêlant musique, chant, danse, poésie, théâtre et pyrotechnie : de l’art total !!! L’équivalent français en est le ballet de cour, mais cela est aussi à la mode dans les cours européennes sous forme de « bal masqué » et de « mascarade »… un peu ce à quoi nous allons assister !

Eccles obtient le deuxième prix de ce concours mais verra sa musique publiée et, en 1705, il écrira la musique de scène de l’opéra Semele du même auteur. Musicien de théâtre mais écrivant aussi pour le clavecin ainsi que des chansons. Il meurt en 1735 à Londres. 

Et maintenant, dansons le tango avec Astor Piazzola !

Aucun amateur de tango, aucun voyageur à Buenos Aires ne peut lui échapper, c’est le plus grand compositeur de tangos du XXe siècle !

Né en 1921 à Mar del Plata, en Argentine, de parents immigrés italiens, partis à New York quand il avait 3 ans, il reçoit un bandonéon à 8 ans sans enthousiasme. Il découvre la musique de Bach grâce à l’un de ses voisins qui accepte de lui donner des cours de piano et cela le marquera toute sa vie.

Sa famille repart en 1936 à Mar del Plata où, lors d’un concert d’un violoniste, il découvre une autre façon d’interpréter le tango. Il décide alors de s’installer à Buenos Aires et d’y jouer de son instrument.

Il devient membre d’un orchestre comme il y en a des centaines dans ce Buenos Aires pauvre qui a envie d’oublier sa misère en dansant !

Il compose des arrangements pour l’Orquesta tipica mais s’intéresse beaucoup à la musique classique qu’il va écouter au théâtre Colón.

Il va recevoir une bourse qui lui permet d’aller étudier à Paris et travailler avec Nadia Boulanger qui lui donne de nombreux conseils.

En particulier, utiliser les musiques populaires comme un vivier et les associer à une musique plus contemporaine. Il joue avec les musiciens de l’Opéra de Paris, enregistre des disques en compagnie de musiciens de jazz, tel Martial Solal.

Il repart à Buenos Aires en 1955, il fonde le fameux Octeto Buenos Aires, mélange tango et compositions personnelles ou du groupe… mais cela ne plaît pas à tout le monde et… on retrouve une « querelle des Bouffons » version argentine ! Il dissout l’Octeto !

Une période difficile le voit à New York puis de retour à Buenos Aires en 1960, amorce une carrière plus favorable mais souvent chaotique avec l’échec de son opérette Maria de Buenos Aires.  Toujours en recherche de la synthèse entre tango, jazz, rock, il est de plus en plus sollicité pour des musiques de films et des concerts à l’étranger, il refonde de nombreux ensembles, mais reste toujours obnubilé par la musique classique et s’entoure de musiciens célèbres, tel Rostropovitch. Sa santé déclinera dans les années 80 et il mourra à Buenos Aires en 1992. Il nous reste son célébrissime Libertango.

Marc-Antoine Charpentier (1643-1704)

Nous retrouvons avec plaisir, cette année, Marc-Antoine Charpentier que nous avions croisé dans la Fièvre du Palais Royal !

Marc-Antoine Charpentier (1643-1704) naît dans une famille aisée de Meaux, se rend à Rome où il aurait étudié auprès de Giacomo Carissimi dans les années 1660.  Sa musique sera définitivement marquée par le style italien, ses effusions et son lyrisme. Il rentre à Paris au service de Marie de Lorraine, Mademoiselle de Guise, et son ensemble musical pour lequel il compose… dix-huit ans !

Mais il n’est pas facile de vivre à l’ombre… du Roi Soleil qui emploie Lully !

Celui-ci se fait octroyer un privilège en 1672 qui lui permet de contrôler personnellement toute la production musicale et sa représentation sous peine d’amende ! Un système mafieux en quelque sorte !

Malgré ses rapports difficiles avec l’ombrageux Lully, le discret Marc-Antoine Charpentier saura se faire une place à la Cour comme dans l’histoire de la musique !

Diane et Actéon - Guiseppe Cesari dit le Cavalier d’Arpin, 1600 - Le Louvre

Apprécié de Molière et Corneille, il compose les intermèdes musicaux de leurs pièces de théâtre et comédies ballets, malgré le « harcèlement » de Lully qui ne cesse de lui demander de recommencer ses partitions ! Il est nommé maître de chapelle du Grand Dauphin à 36 ans et reçoit une pension du Roi qui lui commande la musique des obsèques de la reine Marie-Thérèse en 1683.

Il écrit son célèbre Te Deum pour le rétablissement de la santé du Roi en 1687.

Il s’essaye à l’opéra avec Médée, donné ce printemps à l’Opéra Garnier, dont le livret est écrit par Thomas Corneille en 1693, mais malgré une très belle musique, en raison d’une cabale des lullystes, il ne rencontre pas un grand succès.

Toutefois, toujours apprécié du Roi, il est nommé à 55 ans maître de musique des enfants à la Sainte Chapelle du Palais en 1698, poste auquel il reste attaché jusqu’à sa mort en 1704.

Portrait supposé de M-A Charpentier, 1782 - Almanach Royal

L’impossible Lully aura tenté par tous les moyens de réduire Charpentier au silence mais, il obtiendra le contraire ! Charpentier n’en sera que plus stimulé sans doute, et donnera libre cours à son art fait de ce mélange de styles italien et français qui en fait toute l’originalité, par ses contrastes, son expressivité, sa sensualité, ses dissonances si recherchées et son intériorité.

Cette discrétion peut, peut-être, expliquer que l’on a attendu les années 1950 pour le redécouvrir. Si l’on pense qu’il a composé environ 800 œuvres, il n’en reste que 500 manuscrites, que lui-même a pris la peine de classer dans ses Mélanges. Le catalogue raisonné de ses œuvres fut publié en 1982 par H.W. Hitchcock, un musicologue américain. Les œuvres apparaissent désormais numérotées et précédées d’un « H ».

Actéon est répertorié H481 et 481a et date de 1684.

Il est composé à l’occasion de la saison de chasse du printemps et sera remanié pour la chasse d’automne et rebaptisé, Actéon changé en biche…

Tiré des Métamorphoses d’Ovide, l’histoire raconte la mésaventure du chasseur Actéon qui surprend Diane et ses compagnes nues au bain. Il essaye de se cacher mais Diane l’aperçoit et le transforme en cerf qui sera dévoré par ses propres chiens.

La mort d’Actéon par Titien, 1559-1575 - National Gallery Londres

Petit opéra en 6 scènes, nous voyons d’abord Actéon et ses amis chasseurs sur la piste d’un gibier à la scène 1.

Puis à la scène 2, Diane et ses nymphes se baignent dans une fontaine.

Scène 3, Actéon, fatigué, veut se reposer et laisse ses compagnons partir… mal lui en a pris… il aperçoit Diane et tente de se cacher. Trop tard ! Diane l’a vu ! S’en apercevant, Actéon, essaye de se justifier… Diane ne veut rien entendre et décide de son sort.

Scène 4 : Actéon se voit changé en cerf et exprime son désarroi : on le comprend !

Scène 5 : Les chasseurs et leurs chiens poursuivent le cerf et cherchent Actéon pour le convier à le chasser avec eux.

Scène 6 : Junon, comme toujours en furie, annonce aux chasseurs la fin d’Actéon, changé en cerf et dévoré par ses chiens ! Chœur des nymphes qui se désolent, chœur des chasseurs qui en veulent aux dieux !!! Il y a de quoi ! Et tant pis pour les nymphes qui ne peuvent se consoler avec les chasseurs !!!!!! (Commentaires personnels !)

Pastorale, certes, mais pastorale cruelle que nous interprétera avec tout son allant et tout son talent l’ensemble Scherzi musicali.

Il nous donnera aussi La sonate à huit (2 flûtes, 1 luth, 2 violons, 1 violoncelle, 1 viole, 1 clavecin), qui associe le genre italien et les danses françaises, mélange si typique de son style et qui en font un monument de la musique baroque.

Ce si discret voire énigmatique Charpentier s’est révélé complètement dans sa musique.