"Les Pastorales Baroques", à la rencontre des musiciens du Festival 2024

Le Concert Champêtre - ©Giorgione / Titien

Dans ces paysages montagnards et au milieu des troupeaux que nous croisons en altitude, le thème pastoral a fini par s’imposer pour cette 15ème édition du Festival Valloire baroque.

Nous avons célébré, au cours des 14 festivals précédents, des pays, des compositeurs, des époques mais pas encore notre environnement le plus proche. C’est, cette année, chose faite !

Au son des fifres et des tambourins, nous danserons et chanterons la nature, ses dieux, ses poètes, sa faune, sa flore…qui ont inspiré tant d’œuvres d’art à l’homme. Nous aurons l’occasion de rendre hommage aux artistes qui l’ont célébrée et au cours des concerts du Festival de découvrir quels compositeurs l’ont évoquée voire invoquée !

Episode 1

Nous débuterons le Festival entre « Anges et Démons » avec l’ensemble Stravaganza et découvrirons les compositeurs qu’il a choisis pour nous emmener au ciel ou en enfer !
Ces créatures sont toujours cachées dans la nature … mais, dans l’église, ce sont plutôt les anges que nous fréquentons…quelques centaines de « putti » voletant au-dessus de nous !

Arcangelo Corelli (1653-1713)

Commençons avec Arcangelo Corelli, pour deux raisons : son prénom le destinait à le placer au-dessus des autres et… il est né avant les autres !

Il est né en 1653 près de Ravenne dans une famille riche.
Doué pour le violon, ses parents lui font donner des leçons avec de célèbres violonistes dans leur nouvelle résidence, à Bologne. Il devient très vite un virtuose au point d’être admis à 17 ans à l’Accademia Filarmonica. Il se rend à Rome dans les années 1670 et s’y fixe. Il y débute une carrière non seulement de violoniste célèbre et de compositeur mais aussi de professeur et d’organisateur de spectacles, travaillant pour les grandes familles et l’Eglise.

Corelli - Hugh Howard, 1704 - National Gallery of Ireland

Il bénéficie de prestigieux soutiens, comme la reine Christine de Suède et des cardinaux proches du Pape. Il est admiré dans toute l’Europe par Vivaldi, Bach, Haendel, entretient des relations avec nombre d’autres compositeurs tels Muffat et Scarlatti, Il fait partie de nombreuses académies.  Son influence est incontestable et son œuvre n’a cessé d’être jouée. Son style avec ornementation riche et continuo à plusieurs instruments séduit interprètes et auditeurs. Il laisse environ 80 œuvres. Il se retire en 1708 et meurt à Rome 1713

Couperin lui dédia une « Apothéose » en 1724, le Parnasse.

Marin Marais (1656-1728)

Il a fière allure, notre célèbre Marin Marais avec sa viole de gambe…couchée comme une guitare, et non droite pour le besoin du peintre sans doute mais pas pour en jouer… sinon elle n’aurait pas été appelée ainsi !!!

Fils d’un cordonnier, il devient enfant de chœur, grâce à son oncle, vicaire à Saint Germain l’Auxerrois. Il se forme à la musique auprès de Michel-Richard de Lalande et surtout rencontre Sainte-Colombe, que tout le monde connaît depuis le film : Tous les matins du monde, qui l’initie à la viole de gambe.

Atelier d’André Bouys, 1704 - Dépôt du Louvre au Musée de la musique Philharmonie de Paris

Il intègre l’Académie royale de musique, participe à la création d’Atys de Lully et prend avec lui des cours de composition. Il lui dédie ses premiers Airs de viole en 1685. Après la mort de Lully en 1687, il présente Alcide qui connaît un vif succès. Il joue devant le Roi, sa famille et …ses maîtresses ! Il est sollicité en 1701 pour diriger 250 chantres et instrumentistes dans une œuvre exécutée pour la guérison du Dauphin. 2 de ses motets y étaient intégrés. …Ça a marché, le Dauphin ne meurt que… 10 ans plus tard ! Cela lui vaudra, peut-être, d’être nommé chef d’orchestre permanent à l’Opéra en 1704 à la suite de Campra. Son opéra Alcyone est un succès mais pas Sémélé. Il obtient du Roi de céder sa charge de violiste à son fils, continue à jouer à la Cour et termine sa vie dans une certaine opulence jusqu’en 1728…mais poussé vers la sortie par de jeunes violistes brillants, tel Antoine Forqueray !

Antoine Forqueray (1672-1744)

Antoine Forqueray est issu d’une famille de musiciens et est le fils d’un violiste de la Cour Royale. Il y entre comme page, joue devant le Roi et, à la demande de celui-ci, reçoit des cours de viole. Il devient rapidement gambiste virtuose et est nommé musicien ordinaire de la Chambre du roi en 1689. Il épouse une claveciniste, Angélique-Henriette Houssu qui l’accompagne dans ses concerts. Ils jouent ensemble lors de nombreuses fêtes royales. Mais le couple se déchire et entame différentes longues procédures qui le mène à la séparation…ce qui n’améliore pas le caractère exécrable d’Antoine ! Il refusa toute sa vie la publication de ses œuvres. Il ira jusqu’à faire emprisonner son fils, Jean-Baptiste, excellent gambiste aussi, dont on dit qu’il était jaloux. Celui-ci dut sa sortie de prison à l’intercession, auprès du Régent, de ses amis! Ceci n’empêcha pas le père de rester appointé par le Roi jusqu’à sa mort en 1744 et au fils de publier, en 1747, 29 pièces de son père et, en en adaptant certaines pour clavecin, de les faire connaître et les rendre plus accessibles. Il y ajoutera quelques compositions personnelles.

Les Ordinaires de la musique du roi, toile d'André Bouys (vers 1710). Antoine Forqueray est assis à gauche. National Gallery

Gambiste prodigieux, on en a fait le rival de Marin Marais. Voici ce qu’en pense en 1740, Hubert Le Blanc dans sa « Défense de la basse de viole contre les entreprises du violon et les prétentions du violoncel » (orthographe de l’auteur) : « L’empire de la viole était fondé et puissamment établi par le Père Marais. […] Forcroi le Père (Antoine Forqueray) venait d’ajouter à l’Empire. […] La viole s’était vue favorisée par le Roi Louis XIV, le Père Marais pour ses pièces, et Forcroi le Père (Antoine Forqueray) pour ses Préludes tirants sur la Sonate. L’un avait été déclaré jouer comme un Ange, et l’autre jouer comme un Diable. Fallait-il au sortir de tant d’avantages tomber dans le néant. Quelle chute ! Y en eut-il jamais une pareille ? […] Le Père Marais et Forcroi ne donnaient qu’une note, mais s’attachaient à le rendre sonore, comme la grosse cloche St. Germain, jouant en l’air ainsi qu’ils recommandaient, c’est-à-dire ayant donné le coup d’archet, ils laissaient lieu à la vibration de la corde. »

Toutes les pièces jouées par 2 violes et un clavecin porteront des noms de compositeurs en hommages évocateurs et des recommandations pour leur interprétation : « la Fourqueray » (Vivement et d’aplomb) « la Portugaise » (Marqué et d’aplomb), « la Couperin » (Noblement et marqué) etc…

Jean Marie Leclair (1697-1764)

Un grand musicien français, qui commence bien et finit mal que nous avons déjà rencontré.

Né à Lyon en 1697, il est mort assassiné à Paris en 1764.

Sa carrière commence par la passementerie, (le métier de son père), la danse et le violon. Il devient maître de ballets à Lyon mais privilégie le violon.

Il dédie son premier livre de sonates à son protecteur parisien Joseph Bonnier de la Mosson en 1723.

Il perfectionne son violon avec Giovanni Batista Somis en même temps qu’il est nommé premier danseur en 1726 à Turin et chorégraphe.

Malgré le décès de son protecteur, cette même année, le fils le garde et le loge.

Il se fait connaître au Concert Spirituel comme virtuose en 1728 et s’établit comme professeur de musique.

Il publie un 2ème recueil de sonates qu’il dédie à Joseph Bonnet de la Mosson fils.

Nommé ordinaire de la musique de Louis XV en 1733, il n’y reste que 4 ans et démissionne à la suite d’un différend avec un collègue concurrent au poste de premier violon, le célèbre Guignon.

Il se rend à la Cour d’Orange en Hollande et dédie son opus 9 à la Princesse Anne qui l’accueillera plusieurs mois par an et le fera décorer de la Croix du Lion Néerlandais.

Il est aussi engagé par un riche bourgeois de La Haye comme maître de Chapelle, mais celui-ci fera malheureusement faillite, ce qui l’oblige à rentrer à Paris, en 1745, où la famille Bonnier de La Mosson lui assure des revenus confortables.

Il écrit son unique opéra, Scylla et Glaucus, donné 18 fois à l’Académie royale en 1746 et à Lyon en 1751, inspiré des Métamorphose d’Ovide, sur un livret d’Albaret, dédié à la comtesse de Lamarck.

Le Duc Antoine-Antonin de Gramont possède un petit théâtre pour les représentations duquel Leclair compose œuvres vocales et musiques de scène. Mais le train de vie dispendieux du Duc entraîne la vente du théâtre. 

Il est considéré alors comme le plus grand violoniste français par ses sonates et ses concertos mais malgré cette reconnaissance, il semble mal tourner ! Il se sépare brutalement de son épouse, achète une maison dans un quartier mal famé en 1758 où il sera assassiné en 1764 dans de mystérieuses circonstances. On soupçonnera, son épouse, le jardinier et un neveu… On a même soupçonné Jean-Jacques… Rousseau !!!

Son style élégant, brillant et sa science du contrepoint en feront presque l’égal français de Vivaldi ou de Corelli !

Pas de démonstration à effets, pas de concession à la facilité mais de la vitalité, dans ses recueils de sonates, pour violon et basse continue, comme pour ses sonates pour deux violons sans basse : « rigueur de la composition et hauteur de vue » (Philippe Beaussant).

Ses 6 sonates en trio resteront célèbres pour la qualité de leurs fugues. Ses concertos pour violon réalisent « une superbe synthèse entre les traits virtuoses italiens et les tournures mélodiques propres à l’esprit français ». Jean-Marie Leclair ou l’art de l’équilibre !

Giuseppe Tartini (1692-1770)

Ou le Saint Augustin de la musique… Pour un saint, composer les trilles du diable est un peu de la provocation, non ?

Et pourtant, ce jeune homme né en 1692, en actuelle Slovénie est destiné à la carrière ecclésiastique.

Après une jeunesse agitée – comme le vrai Saint Augustin – il se consacre à l’étude, au mysticisme mais aussi à la technique instrumentale !

Jeunesse agitée ? Et comment !!! Certes, il suit des cours de droit mais aussi d’escrime et de violon et devient excellent dans toutes les disciplines ! Jusqu’en 1710, tout va bien, mais il épouse alors secrètement une élève, nièce du Cardinal de Padoue, qui n’apprécie pas ce fol amour et le poursuit en justice. Il est obligé de se cacher dans un couvent à Assise, déguisé en moine quelques temps !  Et là, pour se faire pardonner, non seulement il joue du violon au couvent derrière un rideau (!), mais change du tout au tout et devient de plus en plus discipliné !! Il attendrit ainsi le Cardinal de Padoue qui, en 1715, l’autorise à retrouver son épouse. Son destin est scellé : il sera musicien, professeur et compositeur pour sa Scuola delle Nazioni qui formera des virtuoses à son image, tel Nardini, venant de toute l’Europe. En 1721, il est nommé maître de chapelle à la Basilique Sant’Antonio de Padoue.

Il se passionne aussi pour la technique instrumentale qu’il perfectionne, rédige de nombreux ouvrages théoriques et scientifiques. Malheureusement, toutes ses hypothèses ne se vérifient pas et ses détracteurs sont nombreux, mettant l’accent sur le caractère parfois ésotérique de la présentation de ses recherches et compositions, ce qui l’affectera énormément.

Son œuvre est toutefois considérable.

La célèbre sonate dite des Trilles du diable, aurait été composée chez les Franciscains qui l’ont caché… une nuit où le diable lui serait apparu…

Il compose une trentaine de sonates pour violon seul, un peu plus de 130 pour violon et basse continue, une quarantaine de sonates à 4, et une œuvre orchestrale avec de nombreux concertos au style « cantabile », style qui l’a caractérisé, doté de mouvements rapides, brillants et des mouvements lents d’anthologie. Tout cela en… 78 ans seulement !

Les XIXe et XXe siècles furent fascinés par certaines œuvres virtuoses du violon. Les personnages de Satan et Méphisto figurent dans des romans et des opéras célèbres et au XXIe, Nemanja Radulovic, avec ces Trilles, deviendra un… diable du violon !