"Les Pastorales Baroques", à la rencontre des musiciens du Festival 2024
Dans ces paysages montagnards et au milieu des troupeaux que nous croisons en altitude, le thème pastoral a fini par s’imposer pour cette 15ème édition du Festival Valloire baroque.
Nous avons célébré, au cours des 14 festivals précédents, des pays, des compositeurs, des époques mais pas encore notre environnement le plus proche. C’est, cette année, chose faite !
Au son des fifres et des tambourins, nous danserons et chanterons la nature, ses dieux, ses poètes, sa faune, sa flore… qui ont inspiré tant d’œuvres d’art à l’homme. Nous aurons l’occasion de rendre hommage aux artistes qui l’ont célébrée et au cours des concerts du Festival de découvrir quels compositeurs l’ont évoquée voire invoquée !
Episode 5
Bach et la Cantate des Paysans (BWV 212) : « Nous avons un nouveau gouverneur »…
C’est une cantate profane comme la Cantate du café de 1734 et même burlesque selon Bach lui-même, composée en 1742, et c’est aussi la dernière.
Nous rencontrons ici l’autre visage de Bach, loin de l’image donnée par ses œuvres magistrales, celui d’un facétieux et joyeux « drille » … avec tout le respect que je lui dois !
En 1742, le Chambellan du Prince Electeur de Saxe et responsable de la perception des impôts à Leipzig, Carl Heinrich von Dieskau (aïeul du célèbre baryton Dietrich Fischer-Dieskau), fête ses 36 ans. Il entend les célébrer gaiement ! Il invite amis et métayers travaillant sur son domaine. Picander, de son vrai nom Christian Friedrich Henrici, qui travaille pour le Chambellan, est par ailleurs poète et librettiste de Bach pour de nombreuses œuvres dont la Passion selon Saint Matthieu. Le Surintendant des impôts s’adresse à lui pour le texte et à Bach pour la musique. Dans cette cantate, les paysans du domaine de Kleinzschocher rendent un hommage plein d’humour à leur « bien aimé-gouverneur ».
Bach s’est sans doute beaucoup diverti en l’écrivant, la truffant de pastiches, de reprises d’airs populaires polonais et allemands, d’emprunts à ses précédentes œuvres et d’airs à boire. Bach cite la Folia, fort connue à l’époque et la chanson folklorique Mit dir und mir ins Federbett, mit dir und mir aufs Stroh, version ancienne de Couchés dans le foin… et en profite pour se moquer des dernières tendances à la mode en musique.
On peut y voir l’ancêtre des singspiel (opéras comiques allemands) voire une référence dont Jean-Jacques Rousseau se serait souvenu pour écrire le Devin de village, opposant la ville à la campagne.
Que nous raconte cette cantate que nous écouterons en français ?
Celle d’un paysan, Robin, chanté par Romain Bockler et de la femme du fermier, Manon, chantée par Lise Viricel, qui prennent un plaisir manifeste à chanter ces airs charmants, tels que « Notre bien-aimé excellent chambellan », « Il faut donner dix mille pièces chaque jour à notre gouverneur », et « Mon p’it Robin »…
Ecoutez bien les paroles, le texte est truculent !
Au cours du concert, nous aurons aussi quelques interludes de Sébastien Bodinus et son univers champêtre avec une Sonate mettant en valeur le cor et le traverso que nous n’entendons pas beaucoup dans la Cantate !
Sébastien Bodinus est contemporain de Bach, né en 1700 en Thuringe et décédé en 1759. On ne connaît que peu de détails de sa vie sauf qu’il est un compositeur typiquement baroque !
Il est employé à la Cour du Margrave Charles III Guillaume de Bade-Durlach, valeureux militaire et grand amateur de jardins. Celui-ci plante 7000 orangers et 5000 tulipes qui grèvent les finances de l’Etat… mais qui restent célèbres par les aquarelles qu’en fit le Prince ! Grand bâtisseur, il s’installe à Karlsruhe en 1715 où il fait construire un immense château où Bodinus exercera ses talents de « Musicien et Laquais » à partir de 1718 devenant « Musicien de Cour ». Il s’installe en 1723 à Stuttgart changeant de Cour, devenant Musicien de Chambre, et Premier violon du Duc de Wurtemberg. Il publie alors ses premières œuvres, divertissements, sonates, et quatuor.
Marié, il préfère revenir à Karlsruhe et devient le « Second » et l’ami du maître de Chapelle Johann Melchior Molter. Après 10 ans à Bâle, il revient à Karlsruhe auprès du successeur du Margrave et rejoint pour la 4ème fois l’orchestre de la Cour.
Sa fin est assez confuse à partir de 1752 et on le retrouvera à l’asile de Pforzheim où il meurt en 1759.
Ses compositions incluent des concertos pour différents instruments et des symphonies mais surtout des œuvres de musique de chambre, une centaine environ, pour lesquelles il n’eut pas la renommée qu’il méritait. L’ensemble Artifices nous fera découvrir la musique de ce serviteur d’un prince qui aimait la campagne… militaire !
Couperin lui dédia une « Apothéose » en 1724, le Parnasse.