Paris 1752… la saga !

Episode 4 – Mardi 25 juillet, Les Folies Françoises

Joseph Bologne Chevalier de Saint-George, 1739 – 1799

Les Folies Françoises, Béatrice Martin et Patrick Cohen-Akénine

Commençons tout de suite par ce qui peut être considéré de nos jours comme une expression à déconstruire : on a surnommé le Chevalier de Saint George, le « Mozart Noir » bien que né avant Wolfgang Amadeus !

Aurait-on dit de Mozart qu’il était le Chevalier de Saint George …blanc demanderait offusquée Madame de Sainte Rousseau ?…

Bon, une fois cette question woke posée, parlons plutôt de ce musicien à la carrière étonnante, une célébrité de son époque, mais immédiatement oublié à sa mort !

Le Chevalier de Saint George, portrait par William Ward
d’après Mather Brown (1788)

Né en Guadeloupe vers décembre 1745, d’un père noble et colon et d’une mère esclave, son père décide, non seulement de le reconnaître (fait assez rare pour être souligné), mais aussi de lui faire donner une solide éducation.

La famille s’installe à Paris en 1753 et en 1757, le jeune Saint George est confié au fameux maître d’armes Texier de La Boëssière qui va en faire une très fine lame capable de battre le mousquetaire Picard Brémond qui l’avait traité de « mulâtre arriviste ».

A 19 ans, alors gendarme de la Garde du Roi, il est nommé « Chevalier ». Il restera connu sous ce titre.

Mais il n’apprend pas qu’à manier le fleuret ! Mais aussi l’archet, mais aussi la baguette de chef d’orchestre !

Excellant dans tous ces domaines, il intègre le nouvel orchestre de Gossec, le Concert des Amateurs et débute comme violon solo.  Gossec devient directeur du Concert spirituel en 1773 et Saint George lui succède à la tête du Concert des Amateurs, le meilleur orchestre européen, selon l’Almanach musical.

Sa carrière de musicien lui permet de trouver des ressources dont le décès de son père l’avait privé. En 6 ans, il publie l’essentiel de ses compositions des quatuors à cordes, une dizaine de symphonies, des concertos pour violon …

Le « mulâtre » devient le musicien favori de la Reine Marie-Antoinette, son précepteur de musique et la coqueluche de ces dames qui se pâment devant sa haute stature et sa fort belle allure…mais pas toutes !

La reine veut le nommer directeur de l’Opéra en 1776. Ce n’est pas une bonne idée : trois « précieuses » ou divas de l’époque, dont Sophie Arnoud, ayant plus de talents en tant que courtisane qu’en tant que chanteuse, et « la Guimard » danseuse devant bientôt raccrocher les chaussons, se liguent pour faire savoir à la Reine par un « placet » leur opposition à chanter ou danser sous l’autorité d’un « homme de couleur », dirions-nous maintenant, plutôt que « black » même très « people » !… Elles gagneront , les chipies ! Il s’en souviendra !

1778 ! Ah, là c’est une autre affaire… on dit que Mozart aurait refusé de rencontrer l’homme le plus en vue de la capitale, refusant malgré (à cause ?) les conseils de son père, mais là, cela devient freudien, de jouer pour l’Orchestre des Amateurs. Jaloux Mozart ? Décidément, Paris ne réussira pas à Mozart qui en gardera un mauvais souvenir. Il faut dire que sa mère y décède et qu’il sera fort esseulé et désemparé.

Le chevalier se lance dans d’autres expériences. La branche cadette des Bourbons lui est plus accueillante ! Il se lie avec le Duc de Chartres, héritier des Orléans, futur Philippe-Egalité et Grand maître du Grand Orient qui l’initie à la Franc-Maçonnerie, ce dont Gaël de Kerret parlera plus longuement dans son « Libre-Cours ».

Il devient le « Nègre des Lumières » !

Il crée un nouvel orchestre « L’Olympique de la Parfaite Estime » où tous les musiciens sont « Frères », tous vêtus, à sa demande avec habit brodé, chapeau à plumes et épée au côté ! On ne badine pas avec l’élégance quand on est chevalier.

Il est passé au service de la Marquise de Montesson, épouse du Duc d’Orléans, qui le nomme à la tête de son théâtre. Il compose mais les débuts sont difficiles, il connaît quelques échecs tel « Ernestine » en 1777 dont le livret était pourtant écrit pas Choderlos de Laclos, et « La partie de chasse » !

Il s’avère meilleur compositeur dans la musique instrumentale !

Avec le Duc d’Orléans, il se rend à Londres où il séduit la « gentry » et rencontre le Prince de Galles… qui le fait se battre en 1787, en duel contre… le Chevalier (Chevalière ?) d’Éon ! Rien à voir avec la musique !

Un assaut d’armes à Carlton House le 9 Avril 1787(Alexandre-Auguste Robineau)

Sauf un titre ambigu d’une de ses œuvres, une comédie, à son retour de Londres : « La fille-garçon »… mais pour Éon, c’était le contraire !

 1785-1786, le Comte d’Ogny commande à Joseph Haydn par l’intermédiaire de l’autre Joseph, le Chevalier, pour le Concert de la Loge olympique, six symphonies, dites « Parisiennes », que le Chevalier dirigera en 1787 pour leur création !  La Reine s’enthousiasmera pour l’une d’entre-elles, le n° 85 en si bémol majeur…on la nommera « La Reine de France », bien sûr. Rien de moins ! Ça se passera mieux avec Haydn qu’avec Mozart !

En 1790, il compose son dernier opéra, « Guillaume tout cœur » pour la ville de Lille qu’il défend à la tête de sa Légion des Américains et du Midi ou Légion noire ou Légion Saint George, 1000 hommes !

Il est promu colonel mais Il est pourtant soupçonné d’avoir pris part à la trahison de Dumouriez, il est emprisonné 18 mois ! C’est la Terreur ! Il en réchappe !

En 1796, il participe au débarquement de Saint Domingue et… reprend ses activités musicales, dirige le Cercle de l’Harmonie et l’orchestre du Palais Royal, les Parisiens reviennent en foule et louent la qualité de ses exécutions mais il tombe malade et il meurt le 10 Juin 1799. Il lui sera rendu hommage à l’époque.

Mais, les préjugés raciaux ayant la vie dure, avec le rétablissement de l’esclavage en 1802, sa musique sera bannie des répertoires. On peut mourir deux fois…

Nul doute que nous aurons avec les Folies Françoises un éclairage particulier sur cette rencontre qui n’eut pas lieu, celle de Mozart et du Chevalier de Saint George.

Chevalier de Saint George Sonate N°2 Violon et piano en le majeur

Yoan Brakha/Félix Ramos