Paris 1752… la saga !

Episode 2 – Dimanche 23 juillet, L’Orchestre de l’Opéra Royal de Versailles

La Serva Padrona – Pergolese

Les concerti di Parigi – Vivaldi

L’Orchestre de l’Opéra Royal de Versailles, direction Stefan Plewniak

La querelle des Bouffons

Qui a dit « La musique adoucit les mœurs » ? Platon ? Peut-être, dans La République, où il met aussi en garde ses gardiens de ne point trop l’écouter car elle peut affaiblir leurs valeurs viriles, à moins que ce ne soit Aristote dans La Politique qui aurait formulé ainsi ce qui est devenu un proverbe.

En France, les querelles enflammées à propos de la musique ont par deux fois au moins échauffé les esprits et divisé, certes pas la France entière, mais au moins Versailles et Paris !

Lorsque nous avons vécu à l’heure du Grand siècle grâce au festival 2019, nous avions assisté à la querelle des Lullistes et des Ramistes, qui éclate en 1733 avec la première tragédie lyrique de Rameau, Hippolyte et Aricie.

Les Lullistes (paradoxalement car Lully, italien d’origine, s’est longtemps appelé Lulli !) reprochent à Rameau une musique trop savante, trop italianisante : « un vacarme affreux…(où) toutes les voix sont couvertes par l’orchestre ». Rameau soutenu par les partisans de son expressivité, de ses nouvelles mélodies plus harmonieuses, plus riches, plus complexes répondra que pour interpréter ses œuvres, il ne faut pas des acteurs mais des chanteurs ! Ambiance !!!!!

Rien n’avait été retenu des leçons de Marc-Antoine Charpentier qui, avait su réunir le meilleur des deux styles italien et français !

Vingt ans plus tard, le 1er Août 1752, la troupe italienne des Bouffons donne son premier spectacle : la Serva Padrona, (la Servante maîtresse) de Giovanni Battista Pergolese… et là c’est l’émeute !

Pourtant, donné en 1729, ce même spectacle n’avait pas affolé les foules, par contre, en 1752, cette servante rouée va beaucoup les amuser et susciter chez les tenants du grand opéra français des cris d’orfraie.

Alors que Pergolèse est mort depuis 1736, la représentation à l’Académie royale de musique à Paris, de son intermezzo per musica déclenche une tempête : la Querelle des Bouffons, ou Querelle des Coins.

L’opéra, en effet, se divise alors en « coins », celui du Roi -Louis XV- groupé autour de Rameau et de la musique française et celui de la Reine, Marie Leszczynska, pourtant polonaise, réuni autour de Rousseau partisan de l’«italianisation » de l’opéra . On est loin des reproches faits à Rameau 20 ans auparavant !

On se distrait, on s’amuse, on applaudit aux situations loufoques, bref on se réoxygène avec ces joyeux Italiens.

La Cour alors se déchaîne ! Il faut choisir son « coin « ! Marquise, quel coin adoptez-vous ? Réponse de la Pompadour : je soutiens l’opéra français, le coin du Roi, bien sûr ! L’autre coin, celui de l’Encyclopédie et des philosophes s’y oppose bruyamment !

Grimm (Friedrich Melchior) illustre ce « coin » de vue avec son « Petit prophète de Boehmischbroda» ; il y critique l’opéra français, les mauvais chefs d’orchestre « qui feraient mieux d’aller fendre du bois dans les forêts de Bohême, les chanteurs qui se « gargarisent » indécemment en public ».

Pour Rousseau, dans ses Lettres sur la musique française, il déclare en Novembre 1753, « …s’il y a une langue propre à la musique, c’est certainement l’italienne !… car cette langue est douce, sonore, harmonieuse et accentuée… Et je crois avoir fait voir qu’il n’y a ni mesure ni mélodie dans la musique française parce que la langue française n’en est pas susceptible… d’où je conclus que les Français n’ont point de musique et n’en peuvent avoir, ou que, si jamais ils en ont une, ce sera tant pis pour eux ! » Tollé général !

Rameau ne peut laisser passer une telle injure et réplique en 1754 par ses « Observations sur notre instinct pour la musique et son principe » s’efforçant de démonter les arguments de Rousseau…

Leur antagonisme vient de leur différence de considération de la nature. Pour Rameau, le naturel se traduit par la mesure. Pour Rousseau, cela est artificiel, c’est le mouvement et la vivacité des Italiens qui expriment le mieux la nature.

Fort de ses théories et pour soutenir ses idées philosophiques et musicales, Rousseau compose son Devin de village et le fait représenter en 1752 et 1753 à la Cour… mais il prouvera ses limites en tant que musicien sans laisser un chef d’œuvre à la postérité !

Sur le plan musical, Rameau aura sa revanche… mais pas sur le plan des idées.

Les racines de la colère sont profondes : derrière les Italiens, on défend l’art populaire de qualité, on critique la préciosité de la Cour et les mauvais chanteurs français. Les goûts et les modes évoluent et l’on oppose le comique français au « buffa » italien. Les philosophes amorcent les nouvelles formes de pensée avec l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert (1751 -1772), tous se sentent concernés par cette volonté d’ouverture européenne contre une vision trop versaillaise et repliée sur elle-même. Une brèche s’ouvre par où s’infiltrent les premières contestations de la Monarchie et le renouveau profond de la musique.

La Pompadour gagnera, pourtant, mais momentanément car on renverra les Italiens en Mars 1754.

Parallèlement, avec Gluck, un nouveau langage musical s’impose avec sa « réforme » alliant naturel et vérité dramatique. Mais qu’on se rassure, il sera confronté à une nouvelle querelle, celle des Gluckistes et des Piccinistes !

Giovanni Battista Pergolesi 1710-1736, et la Serva Padrona

Giovanni Battista Draghi est dit “Pergolesi” (Pergolese en français !) parce que son grand-père, cordonnier, était originaire de Pergola !

La famille s’installe à Jesi dans la province des Marches où naîtra Jean-Baptiste le 4 Janvier 1710, d’un père géomètre ou expert agronome, selon les biographes, chez un architecte bien introduit dans la société de Jesi qui l’aurait aidé à s’inscrire au Conservatoire dei Poveri di Gesù Cristo de Naples à 13 ans, institution dans laquelle les grands musiciens de Naples, dont de nombreux castrats, ont été formés (Porpora, Vinci, Farinelli) et où il est inscrit sous le nom de Jesi !

Sa formation musicale est faite par les grands compositeurs de Naples, Francesco Durante puis Leonardo Vinci et Gaetano Greco, il apprend le violon avec Domenico de Matteis, et le chant avec Gerolamo Ferraro. Une parfaite éducation qui lui permettra de composer jeune ! Dès 1731, « Li prodigi della grazia nella conversione e morte di San Guglielmo duca d’Aquitania », est un succès ! Il est vrai que le sujet de la conversion de Guillaume par Saint Bernard de Clairvaux, représenté au XIXème dans de nombreux tableaux, est impressionnant ! Le saint se repent de tous ses péchés et part en pèlerinage en ayant renoncé à tous ses biens et légué son pouvoir à Aliénor, sa fille aînée de 13 ans !

Immédiatement, on commande à Pergolese un opéra, ce sera Salustia créé par le tout jeune castrat de 18 ans Gioacchino Conti dit Giziello en 1732 mais sans un grand succès. Sa comédie musicale, la première du genre, Lo frate ‘nnamorato – le frère amoureux – écrite en dialecte napolitain est beaucoup mieux reçue ! Il sera nommé au poste de maître de chapelle de l’écuyer du vice-roi de Naples. A Naples, la valeur n’attend pas le nombre des années !

Il se consacre à de nombreuses œuvres religieuses dont une messe solennelle à 10 voix après un tremblement de terre à Naples en 1732 et des vêpres. Sa renommée devient internationale et il compose pour les Cours européennes, musique profane et religieuse.

En 1733, la Cour de Naples lui commande un opéra buffa, ce sera Ilprigioner’superbo, donné pour l’anniversaire de l’impératriceWilhelmine, Reine de Naples. On retiendra surtout son « intermezzo ». Les intermezzi sont de petits entr’actes destinés à distraire le public par quelques farces, au milieu des opere serie (parfois trop sérieux !)

C’est ainsi que la Serva padrona vit le jour comme intermezzo per musica, puis, en tant qu’œuvre autonome à l’immense succès et aux conséquences inattendues que l’on sait !

En 1734, il écrit, sur un livret de Metastase comme 25 compositeurs de l’époque, une Olimpiade pour Rome où la Cour a dû se transporter menacée par les troupes espagnoles… mais elle ne lui vaudra pas de … médaille ! Sa messe en fa sera beaucoup mieux reçue.

De santé fragile, et déjà fort atteint par la tuberculose, il compose son dernier opéra en 1735, Il Flaminio qui eut un succès qui ne se démentit pas jusqu’en 1750. Il se retire en 1736 au couvent des Capucins de Pouzzoles près de Naples, et écrit son Salve Regina pour la confrérie dei Cavalieri de San Luigi di Palazzo. Son dernier protecteur, le duc de Maddaloni lui commande son bouleversant Stabat Mater, sans doute son œuvre la plus célèbre.

Charles de Brosses (1709-1777) dans ses Lettres écrites d’Italie évoque la fin de Pergolese qui « serait mort de la poitrine… ».

Au cours de ses six ans d’activité, Pergolese aproduit l‘une des œuvres les plus marquantes de la musique du XVIIIème siècle avec la Serva padrona.

On peut faire confiance à Stefan Plewniak et son orchestre de l’Opéra Royal de Versailles ce dimanche 23 Juillet pour nous faire ressentir la fièvre qui s’abattit sur les « coins » de l’Opéra avec la Serva Padrona le 1e Août 1752 !

La serva padrona, les Barrochisti D. Fasolis

En deuxième partie du concert, nous écouterons les 12 Concerti di Parigi de Vivaldi. Ils n’ont pas été composés à Paris pour un commanditaire connu ou une institution bien définie, mais ils ont été conservés à Paris sans que l’on en connaisse vraiment l’origine. Un Ambassadeur de France à Venise qui connaissait bien Vivaldi ? Le duc de Lorraine et de Bar, futur Empereur d’Autriche qui accorda soutien et protection à Vivaldi ?

Deux d’entre eux adoptent le rythme pointé à la française, Vivaldi aurait-il répondu à une demande d’un visiteur français pour lequel il aurait ajouté simplement quelques concerti de sa composition pris çà et là dans ses tiroirs, composés dans les années 1720 et… recyclés sans que l’acheteur ne puisse s’en apercevoir ?

Ce mystère n’entamera en rien le tonus de Stefan Plewniak et de l’Orchestre de l’Opéra de Versailles qui nous en révèleront tous les aspects contrastés des ripieni (ensemble des instruments) dialoguant avec les concertini (groupe d’instruments) dans ces œuvres où il n’y a pas de solistes.

Introduction au concert de Stefan Plewniak