"Un monde sacré !", à la rencontre des musiciens du Festival 2025

En 2024, nous avions évolué dans les paysages champêtres et montagnards au son des fifres et tambourins au milieu des bergers, au gré des symphonies pastorales et tableaux que la nature et les artistes nous avaient offerts.
Cette année, pour notre 16ème Festival, nous montons plus haut et atteignons les sphères célestes et ce qu’elles ont inspiré aux compositeurs qui ont su, par leur inspiration et leur talent sans limites, nous élever vers le sacré.
Il faut vous préparer à apprendre de nouveaux noms de musiciens qui enrichiront votre dictionnaire de musicologues déjà avertis et revoir votre latin !
Par la diversité des œuvres, nous évoluerons au travers des musiques les plus célèbres de la Renaissance mais surtout nous découvrirons aussi des artistes peu connus qui, éveillant notre curiosité, nous feront passer de la musique sacrée à une… « sacrée musique » !
Episode 5
Josquin des Prés (c 1450-1521)
La nuit porte conseil, dit-on ! Mais pour nous, le jour nous fera apprendre !
Apprendre, ou redécouvrir, le nom des tous ces auteurs que Romain Bockler et Bor Zuljian nous interpréteront nous plongeant au cœur de la Renaissance.
Le plus célèbre d’entre eux est sans doute Josquin des Prés, que nous avons entendu en 2021 dans le Festival consacré aux Héros ou Demi-Dieux,
Josquin des Prés ou « Le prince des musiciens ». Appelé ainsi de son vivant, il fut le compositeur franco-flamand le plus célèbre de la Renaissance.
Au XVe siècle, la guerre de Cent Ans opposant la France et l’Angleterre ravage les pays alliés, mais épargne les provinces et pays non concernés par le conflit, la Bourgogne, la Flandre, l’Italie, où des cours brillantes attirent musiciens et artistes. C’est là que Josquin fera preuve de son talent.
Josquin des Prés naîtra aux environs de 1440-50 en Picardie, état bourguignon à l’époque, et mourra à Condé-sur-l’Escaut, le 27 août 1521. Josquin fut un grand voyageur qui n’est pas resté dans ses Prés !!
Bien que sa biographie soit un peu incertaine, on peut le suivre dans ses grandes étapes.
Il commence comme chantre à la collégiale de Saint-Quentin où il aurait été formé au contrepoint par Johannes Ockeghem. Puis, débute ses voyages par Milan au service des Sforza au début des années 1480, pour se rendre, ensuite, à Rome où il rejoint le chœur papal à la chapelle Sixtine de 1486 à 1494. Il écrit alors des musiques profanes et religieuses et affine son style. Il rejoint la France au service de Louis XII jusqu’en 1503, à la suite de quoi, il est engagé à Ferrare par Ercole Ier et y écrit nombre de ses plus célèbres compositions. La peste l’en chasse en 1504. Il devient prévôt à la collégiale Notre-Dame de Condé-sur-l’Escaut, charge qu’il conservera toute sa vie. Bénéficiant des progrès de l’imprimerie, il diffusera son œuvre dans toute l’Europe. À la toute fin de sa vie, il a tenu à se faire enregistrer comme « étranger » (dit-on), on pourra donc le revendiquer comme compositeur français ! Il est inhumé dans la collégiale sous le jubé.
Son œuvre est monumentale, à la jonction de tous les styles qui fleurissaient en Europe à l’époque. Il innove constamment dans ses messes, motets, psaumes et chansons.
Il sera ensuite quelque peu éclipsé par Palestrina et Roland de Lassus, mais sera dès le XVIIIe siècle de plus en plus admiré car, selon ce qu’en disait Luther : « Il maîtrisait les notes quand les notes maîtrisaient les autres ».
C’est le premier air que nous entendrons : Adieu mes amours…
Il est toujours question d’amours partagées ou pas dans les chansons de Josquin !


Dulces Exuviae
Johannes Ockeghem (1420-1492)

Né dans le Hainaut et mort à Tours. Il fait carrière en France au service du roi Charles VII puis de ses successeurs en tant que premier chapelain mais aussi diplomate, et voyage à ce titre en Europe. Une cinquantaine d’œuvres nous sont parvenues, messes, motets, chansons, requiem pour lesquelles il est demandé aux chanteurs une grande virtuosité technique, pour s’adapter à son écriture, mais aussi beaucoup d’expressivité. Il est l’aîné de Josquin qui lui rend hommage dans Nymphes des bois, lamento sous-titré Déploration sur la mort de Jean Ockeghem.
Marco dall’Aquilla (1480-1544)
Luthiste vénitien, se produisant dans les palais de la ville, il, a laissé une œuvre assez importante pour son instrument. Éditeur et copiste, il publie de nombreux Ricercari, des fantasias, et des arrangements de chansons utilisant le contrepoint typique de la Renaissance et une ligne mélodique claire.
Luys de Narváez (c.1500-1547)
Connu pour son œuvre destinée à la vihuela (instrument à cordes proche du luth, Los seys libros del Delphin de musica de cifras para tañer vihuela et dédiée à Don Francisco de los Cobos à Valladolid, il est considéré comme l’un des grands compositeurs espagnols du XVIème siècle de fantaisies et le premier à avoir écrit des variations.
Il occupe des postes prestigieux et devient compositeur à la cour du futur Philippe II d’Espagne (1527-1598).
Filippo Azzaiolo (1530-1569)
Compositeur italien de Bologne connu pour une chanson célèbre Chi passa per ‘sta strada, il s’illustre par ses 150 chansons légères et populaires, publiées à Venise entre 1557 et 1569. Souvent humoristiques et à double sens, au rythme vif dansant, ces vilanelles sont encore chantées !
Chi passa per sta strada, Ensemble Doulce mémoire. Denis Raisin-Dardre
Antoine Busnois (1433-1492)

Contemporain d’Ockeghem, il s‘est principalement consacré à la chanson (70) et a écrit peu d’œuvres religieuses. Originaire du Nord et de famille aristocratique, il fait partie de la Cour royale puis de la Cour de Bourgogne auprès de Charles le Téméraire. Ce Duc guerroie mais aime aussi la musique ! Antoine compose et chante pour lui et reste à la Cour après la mort du Duc à la bataille de Nancy en 1467. Il est une figure importante de l’école bourguignonne après la mort de Guillaume Dufay.
Philippe Verdelot (c 1480-1536)
Tout le monde n’a pas eu son portrait peint par Sebastiano del Piombo vers 1511 ! C’est un critère de renommée ! En tout cas, c’est Giorgio Vasari qui l’affirme et ce n’est pas n’importe qui, cet auteur des Vies des meilleurs peintres, sculpteurs et architectes, dont le recueil, publié en 1550 puis en 1568, a servi de base à l’histoire de l’art ! Pourtant, on ne le connaît pas ce portrait ! Celui-là est de Morto da Feltre !
On ne connaît pas les détails de sa vie, il serait né en Seine et Marne sous le nom de Philippe Deslouges, puis il s’établit en Italie où il reste définitivement et devient Verdoletto
En 1721, il est à Florence, occupant le poste de maître de chapelle du baptistère, puis de la cathédrale Santa Maria dei Fiore. Il se rend à Rome au service de Clément VII. Il écrit beaucoup de musique religieuse à huit ou neuf voix parfois mais il est aujourd’hui célèbre pour sa contribution à la naissance du madrigal italien. On en connaît 150 pièces. Il y a évoqué le sac de Rome ou la situation politique ou la peste à Florence ! Ses contemporains lui ont reconnu la qualité de respecter pleinement l’esprit des poèmes choisis.
Bartolomeo Tromboncino (1470-1535)
Jusqu’à maintenant nous avions fréquenté des gens fréquentables…mais avec Tromboncino…nous croisons pour une fois …mais ce ne sera pas la seule, un musicien assassin de sa femme surprise en flagrant délit d’adultère ! Mais cela ne semble pas avoir tellement perturbé sa vie de compositeur qu’il a menée à Mantoue, Ferrare, Este et Vérone.
Malgré de sombres histoires dans différentes villes, il a bénéficié, semble-t’il, de soutiens qui lui ont épargné des sanctions sévères ! Il compose pour Isabelle d’Este et pour le mariage de Lucrèce Borgia… que les frasques de son musicien ne sauraient émouvoir compte tenu de celles de sa famille !
Il écrit principalement de la frottola, courte chanson populaire à 3 ou 4 voix, à partir d’un poème des grands poètes de l’époque, genre qui a précédé le madrigal. Il ne se cantonne pas à la musique de divertissement mais écrit aussi de la musique sacrée dont des Lamentations de Jérémie et des Laudes.
Il semble que sa fin de vie à Vérone ait été plus calme…
Orlando di Lasso (1532-1594) ou Roland de Lassus

Né à Mons, très tôt formé à la musique, il fait partie de la suite de Ferdinand Ier de Gonzague et l’accompagne à Mantoue, puis en Sicile, à Milan, et Naples. En quittant ses Flandres natales pour Rome, Roland devient Orlando…, il est propulsé maître de chapelle à Saint Jean-de-Latran à 21 ans où il ne restera pas longtemps car l’appel des brumes du Nord se fait sentir. Il revient à Anvers en 1555, puis se rend à Munich où il connaît le succès et la renommée européenne et où il restera jusqu’à son décès malgré de nombreuses sollicitations. Cela ne l’empêchera pas de voyager et de recevoir tous les titres nobiliaires possibles du Pape, du Roi de France, de l’Empereur…
Ronsard le surnomme le divin Orlande, d’autres le qualifient de Prince de la musique, ou encore d’Orphée belge !
Il a composé plus de 2000 œuvres dans toutes les langues, dans tous les genres : motets, villanelles et madrigaux italiens, chansons françaises, et lieder allemands sans toutefois produire de musique instrumentale. En musique sacrée, il publie une soixantaine de messes (!), dont certaines parodiques, des messes brèves, des Magnificat et, des madrigaux spirituels, des motets, 4 Passions, une par évangéliste, des hymnes, des lamentations etc…
Nous écouterons son madrigal :
Toutes les nuits, que sans vous je me couche,
Pensant à vous ne fais que sommeiller,
Et en rêvant jusques au réveiller,
Incessamment vous quiers parmi la couche,
Et bien souvent au lieu de votre bouche,
En soupirant je baise l’oreiller.
Il est considéré comme l’un des musiciens les plus célèbres du XVIème siècle.
Toutes les nuits, The King’s Singers
Clément Janequin (1485-1558)
La famille de Clément Janequin est originaire de Châtellerault où il naît en 1485.
Au début des années 1500, il rentre au service de Lancelot du Fau vicaire général de Bordeaux, humaniste et amoureux des arts, futur évêque de Luçon. On sait par contre qu’il a de graves démêlés avec la justice épiscopale à Luçon en raison de sa conduite inconvenante la semaine sainte de 1507 avec des « femmes impudiques » ! Puis on perd sa trace pendant 10 à 15 ans alors que l’on sait que ce fut une période prolifique en composition.
Dans les années 1510, il publie ! A-t’il vraiment participé à la bataille de Marignan ? Cet épisode lui aurait inspiré l’une de ses plus célèbres chansons : La Guerre ou La Bataille. En 1520, ses œuvres sont déjà publiées à Venise !
Après avoir servi Lancelot du Fau, il trouve un autre soutien en la personne de Jean de Foix, archevêque de Bordeaux qui le convaincra sans doute de se faire ordonner prêtre.
Toute sa vie, il cherchera des mécènes ! A la mort de Jean de Foix en 1529, il se fait engager par un amateur de musique haut placé, Bernard de Lahet, avocat du Roi au Parlement de Bordeaux, et trouve d’autres ressources. Puis après quelques années, on le retrouve à Angers, à partir de 1534. Il devient maître de chapelle de la cathédrale, protégé par l’évêque Jean Olivier. Celui-ci est aussi l’ami des poètes dont Clément Marot. Janequin écrira sa fameuse chanson Du beau tétin, sur un poème érotique de Clément Marot !
En 1549, il s’établit à Paris où il fréquente notables et aristocrates, cherchant toujours à se placer, sans vraiment y arriver, car il n’a jamais obtenu d’emploi à la Cour. Il aurait pu y prétendre compte tenu de son œuvre et de sa renommée.
Il laisse 400 œuvres dont des messes, des motets, des psaumes cantiques et autres chansons spirituelles. Mais ce sont surtout ses 250 chansons publiées entre 1528 et 1578 où Il a excellé. Pleines d’humour et d’onomatopées, ses Cris de Paris reproduisent avec précision et réalisme la vie et les bruits des rues, tout comme ses chants d’oiseaux reproduisent ceux de la nature, la Bataille, ceux du canon, la Chasse, ceux du cor !
Sa gloire immense dans toute l’Europe ne lui a pas apporté la fortune et il meurt à Paris vers 1558, laissant à ses héritiers le soin de payer sa servante sans gages depuis 2 ans…
Thomas Crecquillon (c 1505-1557)
Compositeur franco-flamand, on ne connaît que peu d’éléments de sa vie mais comme beaucoup de compositeurs de cette école, il est influencé par Josquin des Prés et se consacre à une écriture contrapuntique et polyphonique élaborée mais d’une grande clarté. On connaît mieux sa musique que sa vie !
Il semble qu’il ait travaillé à la cour de Charles-Quint à Bruxelles mais on n’est pas sûr de sa fonction. Aurait-il été maître de chapelle ? Simple chanteur ?
Il est nommé chanoine de différentes villes des Pays-Bas et écrit 116 motets, des messes, des psaumes et des Lamentations comme nombre de ses confrères mais aussi 192 chansons profanes dont Toutes les nuits que nous entendrons au cours du concert. Il est à noter que la nuit…si elle porte conseil, inspire d’autres tendres pensées et que ce soit Lassus, Janequin ou Crecquillon, de nombreux regrets !
Il sera le professeur de Pierre de Manchicourt.
Pierre de Manchicourt (c 1510-1564)
Franco-flamand comme nombre des compositeurs que nous allons écouter et que nous avons étudiés, il subit les mêmes influences qu’eux mais représente la génération postérieure à Josquin des Prés qui amorce la transition vers les formes plus claires annonçant la musique sacrée prônée par la Contre-Réforme.
Natif des Pays-Bas espagnols, il devient maître de chapelle à la cathédrale de Tournai en 1545, puis à Arras en 1556 et à Anvers en 1557. Il conquiert peu à peu une renommée internationale qui le fait remarquer par le roi d’Espagne, Philippe II. Celui-ci le nomme maître de la Capella Flamenca, en 1559, à Madrid, poste ô combien honorifique mais dont il ne profitera pas longtemps puisqu’il s’éteint en 1564.
Ses fonctions le spécialisent dans la musique sacrée. Il écrit une vingtaine de messes et de nombreux motets. Il est très estimé à son époque, un peu oublié ensuite puis redécouvert au XXème siècle.
Son style grave, noble et expressif, annonce celui de Palestrina.
Illuminare Jerusalem, The Gesualdo Six
Giovanni Pierluigi da Palestrina (c 1525-1594)
Sa date de naissance est approximative, mais le lieu, Palestrina, qui lui donnera son nom est connu. C’est une petite ville non loin de Rome où réside sa famille. Un contrat établi entre des représentants de Sainte Marie-Majeure et le maître de chapelle fait état de l’entrée de 6 enfants dans le chœur dont un certain Ioannem de Pelestrina. Il deviendra en 1544 organiste de la cathédrale de Palestrina où il reste jusqu’en 1551.
Il commence alors une belle carrière dans le sillage des papes qui vont se succéder alors que Saint-Pierre est en cours de construction selon les plans de Michel-Ange. Il commence par la Cappella Giulia au Vatican en 1553 où il est nommé par le Pape Jules III et où il constitue un chœur de haut niveau qui ravit le pape… qui le propulse à la Chapelle Sixtine en 1555 bien qu’il soit marié. Le Pape meurt en Mars, le pape Marcel II lui succède. Il veut reprendre en mains le déroulement de la messe selon les règles du Concile de Trente. Palestrina s’exécute et écrit la superbe Missa Papae Marcelli publiée… après la mort du Pape lui permettant de convaincre le Pape Paul IV qui lui succède en 1555 de conserver la polyphonie ! Celui-ci le nomme à Saint Jean de Latran. Mais en raison d’un conflit avec le chapitre, il est congédié et quitte son poste… ce qui ne l’empêche pas d’écrire des Madrigaux !
En 1556, le siège de Rome par les troupes de Philippe II commence et la guerre s’étend pour ne s’achever qu’en 1559 mais elle n’affecte pas les terres de Palestrina. Par contre sa situation financière se dégrade et il est heureux d’être sollicité à Sainte-Marie-Majeure et au Seminario romano pour y retrouver la fonction de maître de chapelle. Il est alors appelé par Hippolyte d’Este en 1564 et le Duc de Mantoue en 1568 auquel il livre 9 messes !
Le Pape meurt, Jean de Médicis est élu sous le nom de Pie IV… Les papes ne faisaient pas long feu à l’époque apparemment… On passe à Pie V en 1566 ! Puis à Grégoire XII en 1572 qui veut réformer le plain-chant. Palestrina soumet son projet qui ne plaît pas à Philippe II et il quitte son poste. Il est alors aussi fort éprouvé dans sa famille car son fils et sa femme meurent de la peste. Il envisage la prêtrise mais… réflexion faite il se remarie avec la riche veuve d’un fourreur et se lance dans les affaires !!!!!
On passe à un autre pape : Sixte V en 1585 ! Palestrina lui rend hommage par une messe, Tu es pastor omnium. Il en connaîtra encore 3 !
Il consacre les dix dernières années de sa vie à écrire et publier ses œuvres.
Il meurt an 1594 et est inhumé dans la Cappella nuova de la basilique Saint Pierre.
Son œuvre est monumentale : 650 pièces ! Il produit plus de 100 messes aux styles assez différents, à 4 ou 5 voix, reprenant parfois des motets ou des chansons populaires, 2 Stabat mater de 1 à 12 voix, 250 motets, 140 madrigaux, et de nombreuses autres œuvres religieuses et profanes
Il passe progressivement des lignes monodiques du chant grégorien aux lignes mélodiques plus douces et plus harmonieuses et au style fugué plus sophistiqué.
Victor Hugo le considère comme le père de la musique sacrée.
