"Un monde sacré !", à la rencontre des musiciens du Festival 2025

Les Ambassadeurs Hans Holbein le Jeune (détail) 1533

En 2024, nous avions évolué dans les paysages champêtres et montagnards au son des fifres et tambourins au milieu des bergers, au gré des symphonies pastorales et tableaux que la nature et les artistes nous avaient offerts.

Cette année, pour notre 16ème Festival, nous montons plus haut et atteignons les sphères célestes et ce qu’elles ont inspiré aux compositeurs qui ont su, par leur inspiration et leur talent sans limites, nous élever vers le sacré.

Il faut vous préparer à apprendre de nouveaux noms de musiciens qui enrichiront votre dictionnaire de musicologues déjà avertis et revoir votre latin !

Par la diversité des œuvres, nous évoluerons au travers des musiques les plus célèbres de la Renaissance mais surtout nous découvrirons aussi des artistes peu connus qui, éveillant notre curiosité, nous feront passer de la musique sacrée à une… « sacrée musique » !

Episode 2

Nous abordons, avec Pulcinella, des œuvres vraiment sacrées avec différentes « Leçons de ténèbres », moments de recueillement exceptionnels qui ne laissent personne indifférent.

Nous avions eu la chance, en 2022, de vivre les « Leçons de Ténèbres » de Emilio de’Cavalieri de 1599 avec Vincent Dumestre et son Poème harmonique, assistant à l’extinction progressive des bougies accompagnant le déroulement de l’œuvre et lui donnant une dimension spirituelle spectaculaire et impressionnante.

Nombre d’autres compositeurs français ont écrit leurs propres « Leçons de ténèbres », tels Michel Lambert, Michel Corrette, Marc-Antoine Charpentier ou Michel-Richard de Lalande et à l’étranger, Purcell et Gesualdo.

Cette année nous allons découvrir celles de Joseph-Hector Fiocco et Charles-Joseph van Helmont pour la liturgie de la semaine sainte.

Le texte est tiré des Lamentations de Jérémie, extraites de l’Ancien Testament, dans lesquelles le prophète pleure la destruction de Jérusalem par Nabuchodonosor en 586 avant notre ère. La tradition liturgique associait ces textes aux derniers jours du Carême, symbolisant la solitude du Christ abandonné par ses apôtres au Jardin des Oliviers.

Chaque verset de chaque strophe est annoncé par une lettre hébraïque : Aleph, Beth, Gimel etc… mais, commençons par des œuvres moins dramatiques, plus typiques de la musique du XVIIIème siècle, celle de Joseph-Clément-Ferdinand Dall’Abaco.

Joseph Clément Ferdinand Dall’Abaco (1710-1805)

Joseph Clément Ferdinand Dall’Abaco est le fils d’un musicien de Vérone, Evariste Felice Dall’Abaco, violoniste et violoncelliste qui se produit en concert et compose à la Cour de Bavière. Il suivra les déplacements du Prince-Électeur Maximilien-Emmanuel de Bavière, devenu gouverneur des Pays-Bas espagnols (la Belgique de nos jours) où son fils est né. Cela le fera considérer comme un compositeur… belge !

Joseph Clément naît à Bruxelles en 1710, formé par son père, il suit le même chemin et devient violoncelliste et compositeur. Comme son père, il est engagé à la Cour du Prince-Électeur ! Du temps du Saint Empire, auquel nous nous étions intéressés lors du Festival de 2020, nous avions vu qu’il y avait de nombreux princes amateurs de musique voire pratiquant eux-mêmes, entretenant cours et orchestres !

Dall’Abaco sera nommé directeur musical en 1738 du Prince-Électeur, Maximilien-Emmanuel II. Il voyage toutefois en Angleterre où il aura quelques ennuis avec la police… puis rejoint les terres d’origine de sa famille à Vérone en 1753. Il est anobli au titre de Baron par le Prince Maximilien III de Bavière et s’éteindra très âgé dans sa propriété d’Arbiazzano di Valpolicella… dont le vin fut, peut-être, son élixir de jouvence ?

Il a composé 49 sonates dont 11 Capricci pour violoncelle solo dont nous écouterons, interprétés par Ophélie Gaillard les n°1, 2, 3, 8. Sa musique peut être rapprochée, par ses audaces et son constant caractère d’improvisation, de celle de Telemann ou, dans le Caprice N°8, de celle de Bach

Il mélange les styles italiens, français et allemands étant né et ayant vécu au carrefour de ces trois cultures. C’est un compositeur intéressant, de style galant et virtuose, et définitivement baroque bien que mort au XIXème siècle.

Caprices pour violoncelle par Kristin von der Goltz

Leonora Duarte (1610-1678)

Passionnante, la vie de Leonora Duarte !

Nombre d’entre nous ignorent son existence et pourtant, nous la connaissons… peut-être (?) : elle aurait pu servir de modèle à Johannes Vermeer pour sa « Dame jouant du virginal » !

Mais commençons par le commencement !

Leonora est née à Anvers en 1610 dans une famille juive convertie sous la pression, pas toujours amicale de l’Inquisition, au catholicisme.

C’est pourquoi ses parents avaient émigré du Portugal aux Pays-Bas où les juifs étaient mieux tolérés.

Ils ont six enfants dont quatre filles et deviennent de riches diamantaires, faisant, par ailleurs, le commerce d’œuvres d’art. En relation avec un courtier de référence à Anvers, Constantin Huygens, Diego Duarte, l’un des deux fils acquiert la « Dame assise au virginal » du peintre Johannes Vermeer. Grand amateur d’art, il possède dans sa collection près de 200 œuvres, de Hans Holbein, Raphaël, Titien, Rubens et Van Dyck. Mais Diego est aussi musicien et compositeur comme tout le reste de la famille qui a reçu une éducation musicale très approfondie. Chanteurs, interprètes de viole, luth ou clavecin, ils forment de véritables ensembles et le salon de la famille est renommé pour accueillir les meilleurs artistes flamands et européens.

En plus des chanteurs français ou anglais, des hommes et femmes de lettres ou des scientifiques rejoignent ce « Parnasse anversois » et échangent des lettres qui sont parvenues jusqu’à nous. Elles sont autant de témoignages détaillés sur les Duarte, célèbres hôtes à leur époque. C’est donc au sein de cette famille exceptionnelle que les talents de sa sœur Francisca, le « rossignol anversois », de son frère Diego, tout comme ceux de Leonora, s’exprimeront, soutenus et encouragés par leur père. Sans doute, est-ce dans ce contexte artistique et intellectuel si foisonnant que la question du portrait de Leonora peint par Vermeer a pu se poser, sans que l’on n’ait jamais la réponse !

Elle composa sept œuvres qu’elle nomma ses « symphonies », dans le style « jacobéen » de cette fin de la Renaissance, qui sont les seules œuvres écrites par une femme du XVIIème siècle dont on ait la trace. Étant juive et femme, elle n’avait aucune chance qu’on lui commande, à cette époque, des œuvres destinées au public, aussi furent-elles réservées à la sphère familiale et amicale privée dans laquelle nous nous serions volontiers glissés ! Par chance, elles nous sont parvenues et sont conservées à Oxford au Christ College. Nous en écouterons 2, les n°2 et 3.

Johannes Vermeer 1670
Symphonie n°2 - Ensemble dirigé par Philip W Serna

Joseph Hector Fiocco (1703-1741)

Encore un « belge » ? Mais oui, et de la même époque que Dall’Abaco ! Avec un parcours semblable ! Leurs pères furent musiciens de cour ou de chœur. Qu’avaient-ils donc ces Italiens à quitter leur « Bella Italia » pour rejoindre les brumes du Nord ? Un emploi !

Ainsi, le père de Joseph-Hector Fiocco, Pietro Antonio Fiocco, lui-même sans doute formé aussi par son père, s’établit à Bruxelles et y fait une brillante carrière. Lui aussi plaît au gouverneur des Pays-Bas, Maximilien- Emmanuel qui lui commande un opéra pour le théâtre de la Monnaie et de la musique religieuse, dont des « Lamentations » qui seront un sommet de l’art sacré de l’époque.

Bon sang ne saurait mentir et avec une telle formation donnée aussi par son demi- frère, le fils suit les chemins du père ! En 1731, il devient chef de chant à la cathédrale d’Anvers puis est nommé à Bruxelles à Saint Michel-Sainte Gudule en 1737. Il en restera le maître de chapelle jusqu’à sa mort à 38 ans.

 Il compose de la musique instrumentale, des pièces pour clavecin, influencées pour certaines par Couperin et la musique française, d’autres par le style italien, mais il se consacre surtout à la musique religieuse. Ses œuvres font preuve d’une grande rigueur contrapuntique sans renier la ligne mélodique.

Trois messes concertantes dont une Missa Solemnis et une messe à Sainte Cécile, toujours appréciées et jouées pour des occasions solennelles, un Requiem flamand, des motets et comme son père, des Lamentations pour la semaine sainte, constituent une œuvre brillante interrompue trop tôt.

Nous écouterons 4 lamentations lors du concert du Dimanche 27 juillet avec Ophélie Gaillard et son ensemble Pulcinella et nous familiariserons ainsi avec ce moment de recueillement, mais sa musique instrumentale est intéressante et cette Messe à Sainte Cécile donne une autre idée de ses capacités de compositeur.

Messe à Sainte Cécile - Solistes et chœur Musici Dominicanorum, Sint Paulus Camerata, Direction Ivo Venko Anvers

Charles-Joseph van Helmont (1715-1790)

Avec Charles-Joseph van Helmont, nous complétons le trio baroque bruxellois de ce 18ème siècle, mais, lui, il n’a pas d’origine italienne !

Son parcours est un peu semblable à celui de Fiocco car il le mène aussi à Saint Michel-Sainte Gudule où il reçoit sa formation musicale du maître de chant Pierre -Hercule Bréhy. Il y est nommé titulaire de l’orgue en 1733. Bien que devenu quelques années chef de chœur dans un autre paroisse, il revient à Saint Michel-Sainte Gudule en 1741 après le décès de Joseph-Hector Fiocco et cèdera sa fonction de maître de chant à son fils, Adrien-Joseph, en 1777 après une longue carrière.

Son œuvre est majoritairement religieuse, dont des messes, motets, Requiem, mais, ne dédaignant pas une certaine activité mondaine, il écrit des pièces pour clavecin, une symphonie pour 2 chœurs et un Divertissement pour la paix, le Retour Désiré. Il écrit un opéra, Griselidis, en 1736, un oratorio, Judith en 1756. L’influence italienne se fait sentir dans ses compositions qui deviennent de plus en plus galantes !

Il fonde une société de musique qui donne des concerts hebdomadaires. Il mêle certes, influence française et italienne comme ses contemporains mais produit une œuvre originale de grande qualité sachant créer une atmosphère unique très appréciée à Bruxelles dont le Conservatoire possède 525 manuscrits.

Il reste surtout célèbre pour son cycle de Neuf Leçons de la semaine sainte écrites en 1737, alors qu’il n’a que 23 ans à peine ! En 1756, il réélabore la 3ème leçon du Vendredi Saint en incluant un violoncelle que nous entendrons lors du concert.

François Couperin (1668-1733)

Avec François Couperin, nous terminons le concert en passant des ténèbres à la lumière de Pâques célébrant la résurrection, Victoria, Christo resurgenti, avec ce Motet pour le jour de Pâques ou Victimae paschali laudes. Il fut composé entre 1690 et 1710, au début de sa carrière, alors qu’il est organiste à Saint Gervais et qu’il vient d’être nommé à Versailles. Il est typique du style religieux du Grand Siècle mais porte déjà la touche personnelle du compositeur.  Mais qui est François Couperin ?  

On l’appellera « le Grand » pour le distinguer des autres, car il y en eut des Couperin ! Il y eut « l’aîné » Pierre-Louis, le « jeune » Gervais-François et des dizaines d’autres.

C’est la famille la plus prolifique de la période baroque ayant donné pendant 200 ans, 8 titulaires des orgues de Saint Gervais à Paris, dont une femme, Céleste -Thérèse, la dernière. François fut le troisième organiste mais il fut aussi claveciniste et compositeur.  Son œuvre illustre le « bon goût français » que l’on peut caractériser par un phrasé mélodique naturel, un refus de toute virtuosité ostentatoire, une harmonie expressive que l’on oppose aux innovations italiennes, avec leurs nouvelles formes, plus de chromatismes et plus de… fioritures ! Couperin crée un langage musical qu’il porte à la perfection dans les « Goûts réunis », recueil de sonates publié vers la fin de sa vie, réunissant le style français et le style italien, synthèse qui représente l’apogée de son art.

Formé par son père à la musique mais orphelin très tôt, il doit attendre quelques années d’avoir l’âge requis pour lui succéder à l’orgue de Saint Gervais. Soutenu par de Lalande, il entre au service de Louis XIV et devient l’un des 4 titulaires de l’orgue de la Chapelle royale de Versailles en 1693.

Il se consacre au début de sa carrière à des œuvres à caractère religieux dont 2 messes pour orgue et des motets, dont celui pour le jour de Pâques. Prévu pour un petit effectif, il s’intègre au répertoire de musique spirituelle de chambre. Il alterne récitatifs expressifs et airs mélodiques et met l’accent sur la clarté du texte sacré pour lui laisser toute sa dimension en soulignant les mots-clés avec des effets d’écho ou des changements de mode majeur/mineur. On y trouve déjà un mélange raffiné de l’élégance française et de la chaleur italienne mais dans un ton serein et joyeux tout en retenue pour lui garder toute sa dimension religieuse.

Outre ses œuvres religieuses dont ses célèbres Leçons de ténèbres pour le Mercredi saint, Il laissera 126 œuvres instrumentales et vocales. Maître incontesté du clavecin, il produit 4 recueils qu’il organise en « ordres » et non en « suites » pour en présenter une autre structure. Les titres des nombreuses pièces feront preuve d’un certain humour ! Ses célèbres Barricades Mystérieuses, dont on n’expliquera jamais le titre, font partie du second livre. Pour des ensembles, il écrit des sonates en trio, telle Les Nations ou en quatuor, La Sultanne, des Concerts royaux, et rend hommage à Corelli et Lully dans deux Apothéoses. Bien qu’apprécié du Roi et de la Cour, et malgré son grand talent, il mènera une carrière discrète et peu mondaine de professeur et instrumentiste, dévoué à son œuvre considérable.

Motet pour le jour de Pâques - Orchestre les Talens Lyriques dirigé par Christophe Rousset avec Sandrine Piau