"Un monde sacré !", à la rencontre des musiciens du Festival 2025

En 2024, nous avions évolué dans les paysages champêtres et montagnards au son des fifres et tambourins au milieu des bergers, au gré des symphonies pastorales et tableaux que la nature et les artistes nous avaient offerts.
Cette année, pour notre 16ème Festival, nous montons plus haut et atteignons les sphères célestes et ce qu’elles ont inspiré aux compositeurs qui ont su, par leur inspiration et leur talent sans limites, nous élever vers le sacré.
Il faut vous préparer à apprendre de nouveaux noms de musiciens qui enrichiront votre dictionnaire de musicologues déjà avertis et revoir votre latin !
Par la diversité des œuvres, nous évoluerons au travers des musiques les plus célèbres de la Renaissance mais surtout nous découvrirons aussi des artistes peu connus qui, éveillant notre curiosité, nous feront passer de la musique sacrée à une… « sacrée musique » !
Episode 1
Mais pourquoi cette année particulière, 1685, choisie par ce jeune « Ensemble Mirabelle » ?
Parce que cette année vit la naissance des trois grands génies de l’époque baroque, à savoir, Haendel, Bach, Scarlatti : présentés dans le bon ordre des dates de naissance ! Haendel le 23 Février, Bach le 31 Mars, Scarlatti le 26 Octobre 1685.

Haendel
Balthasar Denner, 1727

Bach
Elias Gottlob Haussman, 1746

Scarlatti
Domingo Antonio Velasc, 1738
Pour leur date de mort, ce fut au cours de la décennie 1750, Bach en1750, Scarlatti en 1757, Haendel 1759.
Ils ont vécu dans des régions éloignées les unes des autres : Georg Friedrich Haendel, saxon d’origine, et connu comme Il caro Sassonne (le cher Saxon) en Italie, a essentiellement vécu en Angleterre à partir de 1710 et deient même sujet britannique. Jean-Sébastien Bach évolue entre Saxe et Thuringe, mais ne quitte pas le Saint Empire. Quant à Scarlatti, Domenico ou Giuseppe Domenico, il se rendra de Naples au Portugal puis s’installe définitivement en Espagne.
SI Haendel fit des études de droit selon la volonté de son père, avant de devenir musicien, Bach et Scarlatti, sont issus de familles de musiciens et tous les trois, furent des prodiges dès leur plus jeune âge.
On pourrait dire de façon triviale que Haendel est devenu un musicien de cour, Bach, un musicien d’église et Scarlatti…de cour et d’église !
Mais quel débat que celui de savoir celui qui a le plus œuvré à la gloire de Dieu ou du Roi ! Ils sont tous les trois radicalement différents tant sur le plan musical que par leur style de vie et de carrière. Ils ont, tous les trois, été dépendants de commandes de souverains de plus ou moins grandes puissances et ont célébré tel ou tel évènement, tel ou tel exploit guerrier ou moment de gloire mais toutefois, sans allusion politique explicite.
Par contre, surtout pour Haendel et Bach, la dimension sacrée est restée très présente dans leur musique. Haendel et Bach ont toujours été profondément attachés à leur religion, le luthérianisme, et la spiritualité est partie intégrante de toute l’œuvre de Bach composée dans un seul but précis, « Soli Deo Gloria ». L’indépendant Haendel a refusé de devenir catholique lors de son séjour en Italie mais n’a cessé de glorifier Dieu. En composant le Messie, il a déclaré : « Je croyais voir le ciel devant moi, et le grand Dieu lui-même ».
Scarlatti, quant à lui, a voyagé dans toute l’Europe et toujours vécu et travaillé pour des souverains catholiques, portuguais et espagnols mais loin des centres musicaux les plus actifs (Allemagne, Italie, France) et avec une plus grande liberté de création.
Tous trois ont pratiqué une très grande diversité dans leurs compositions : sonates, concertos, oratorios, messes, cantates. Il n’y a que l’opéra qui les différencie car Bach n’a pas composé d’opéra en tant que tel bien que la Passion selon Saint Matthieu soit son œuvre la plus opératique. Ils ont tous les trois connu la gloire et leur réputation a dépassé leurs frontières. Ils connaissaient la musique de chacun d’eux en tant que maîtres du clavier mais se sont-ils rencontrés ?
Bach faisait interpréter des œuvres de Haendel au café Zimmermann dans les années 1730, mais la réciproque n’est pas prouvée et Scarlatti n’a jamais fait référence dans ses œuvres à la musique de ses contemporains… quoique…
On raconte, qu’à Rome, en 1709, Haendel séjournant en Italie et étudiant la grande tradition de l’opéra avec Alessandro Scarlatti, retrouva son fils, Domenico, qu’il avait rencontré à Venise l’année précédente. Le Cardinal Ottoboni suggéra de confronter les deux jeunes gens de 24 ans au palazzo Corsini dans un duel musical au clavecin et à l’orgue. La légende dit que Scarlatti l’emporta au clavecin et Haendel à l’orgue…Ils restèrent toutefois de fidèles amis toute leur vie.
Quant à Bach, s’il ne rencontra personne, une curieuse coïncidence fit cependant, que, deux ans après la publication des « 30 Essercizi » pour clavecin de Scarlatti (seules pièces publiées de son vivant en 1738 sur les 555 dédiées au Roi João V de Portugal), il écrivit ses 30 Variations Goldberg, elles aussi pour clavecin. Les œuvres se terminent toutes deux par un « quodlibet », un clin d’œil musical, sans rapport avec le reste. Les Essercizi se terminent aussi par une Fugue du chat sans lien avec les sonates qui précèdent mais à la construction d’une complexité croissante.
La sonate K 30 en sol mineur de Scarlatti fut surnommée ainsi par ses éditeurs, Clementi et Czerny, mais ce surnom ne fut jamais utilisé par le compositeur. La légende prétendait que le chat « Pulcinella » (clin d’œil aussi à notre programme) aimait passer sur le piano de Scarlatti qui aurait noté la mélodie ainsi improvisée…Cette Fugue fut célèbre au XIXème siècle car interprétée par Liszt et reprise souvent depuis. Mais « rien n’est plus contraire à son œuvre que d’accoler un titre fut-il anecdotique » disait Alain de Chambure, ingénieur, musicien, homme de radio qui a contribué à la résurrection des sonates de Scarlatti par Scott Ross.
Quant à la dernière Variation Goldberg, elle abandonne le thème initial pour reprendre plusieurs chansons populaires à la mode en les traitant en contrepoint. Scarlatti se serait-il soumis à un exercice de symétrie mathématique comme Bach dans ses canons rigoureux alors que Bach aurait apporté une touche de fantaisie toute « scarlattienne » ? Ce Voyage en 1685 nous apportera peut-être une réponse !